vendredi 15 juin 2012

Faut-il vider les prisons?

Le gouvernement s'y refuse
Il n'y a pas trente-six-mille solutions, arrêtons de nous payer de mots. D'une part, 57 000 places en prison. D'autre part, 67 000 personnes emprisonnées. Résultats, 10 000 personnes qui n'ont pas la place de vivre en prison... et qui y vivent pourtant.


La solution proposée par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, exposée dans son avis du 22 mai, a au moins le mérite de mettre les pieds dans le plat: si les prisons débordent, arrêtons de les remplir. Il propose d'amnistier les "peines légères" prononcées avant 2012 mais qui n'ont pas encore été exécutées. Delphine Batho, ministre déléguée à la Justice, a repoussé l'idée. "Ce serait un mauvais signal."A l'approche de l'été, saison au cours de laquelle les conditions d'incarcération sont plus dures, cette mesure aurait pourtant contribuer à abaisser la tension dans les cellules.


Voici la proposition de J-M. Delarue :


"En dernier lieu, à court terme, la mise en œuvre de courtes peines jusqu'alors inexécutées, avec une ou plusieurs années de retard, faute des moyens nécessaires données aux greffes, a pour résultat de ruiner l'insertion de ceux des condamnés qui, postérieurement au jugement, avaient repris vie professionnelle et relations sociales. Si l'application des jugements ne doit souffrir aucune exception (...) encore faut-il qu'elle intervienne dans des délais raisonnables. il devrait être décidé que ce principe, avec les moyens nécessaires donnés aux juridictions pour ce faire, recevra désormais une application rigoureuse. Mais le passé (peines inexécutées prononcées antérieurement à 2012) devrait être apuré par une loi d'amnistie spécifique, qui ne prendrait effet ― on doit insister sur ce point ― qu'à l'égard d'auteurs de délits n'ayant été condamnés qu'à des peines légères."


La majorité présidentielle s'en est trouvée fort embarrassée. Est-ce bien le moment de nous faire passer pour laxistes à trois jours du second tour des élections législatives en évoquant une loi d'amnistie? La Droite ne s'est pas privée pour monter au créneau et fustiger l'angélisme dont les socialistes se prépareraient à faire preuve... une fois le scrutin passé.


Pour autant la question posée par le contrôleur général des prisons n'est pas inconséquente. Soit l'Etat construit plus de places pour accueillir les personnes que sa Justice réprimande. Soit il en incarcère moins. A moins de noyer le poisson, il faut choisir entre les deux options. La Droite avait opté pour la première solution, très clairement. Au risque d'émettre un message, un tant soit peu contradictoire, puisque les gouvernements Fillon successifs nous affirmaient que la délinquance baissait... tout en constatant que le nombre de personnes écrouées augmentait. 


La Gauche n'entend pas construire les prisons prévues par Nicolas Sarkozy. «Il va falloir très vite faire un tri entre les projets de construction de prisons, y compris pour les revoir et réorienter les budgets», confiait avant la nomination du gouvernement, Marie-Pierre de la Gontrie, responsable des questions de justice au PS. Que feront les socialistes? Ou plus exactement, pourront-ils faire l'économie de ces nouvelles places étant donné l’inflation des condamnations? Dans un premier temps, il est permis d'en douter. En septembre 2011, 80 000 peines de prison restées en attente d’exécution


Équilibre carcéral obligatoire
Au PS, certains proposent l'instauration d'un numerus closus. C'est-à-dire l'impossibilité d'incarcérer une personne si une place de "libre" n'est pas disponible. C'est le cas du sénateur Dominique Raimbourg, cité dans Libération«Je suis effectivement favorable, de manière temporaire, à n’accepter un détenu en surnombre que si, dans un délai de deux mois, on prépare la sortie d’un autre prisonnier en fin de peine." Une règle d'or qui instaurerait un équilibre carcéral obligatoire. Ce qui amènerait - à terme - à sanctionner un crime ou un délit, non pas en fonction de la réalité de la faute commise, mais de la capacité dont dispose l'Etat à appliquer la sanction.


Une telle politique devrait s'accompagner d'un développement sérieux des peines alternatives à la prison. Des peines qui doivent conserver le caractère dissuasif  de l'emprisonnement, mais être plus souples et moins coûteuses dans leur mise en place. Il y a bien sûr le bracelet électronique, la semi-liberté, la libération conditionnelle, le placement à l'extérieur, les travaux d'intérêt général... toutes ont leurs avantages... et leurs limites. En la matière, l'expérience montre qu'il n'y a pas de solutions miracles. Il faut les utiliser toutes, là où elles se montrent les plus pertinentes. Au juge de sanctionner, mais également de se préoccuper de l'efficacité de sa sanction. A lire l'avis du Contrôleur Général, les magistrats vont peu, trop peu, en prison constater l'application de leurs décisions.


Il n'y a pas que le ceinturon
In fine, la grande question - posée en filigrane de l'intervention de J-M. Delarue - c'est bien celle de l'opportunité de l'incarcération comme unique réponse au crime ou délit. Cette réponse évolue avec le temps. Comme ce dernier le souligne:


 " le vol simple, désormais, ne conduit plus guère en prison au contraire d'hier ; la « violence routière » est punie aujourd'hui d'emprisonnement, à l'opposé d'un passé récent. Des infractions sont poursuivies qui ne l'étaient pas hier et amènent en détention des personnes, éventuellement plus nombreuses, que l'on n'y mettait point."


De même qu'un père de famille peut punir son garçon sans sortir systématiquement le ceinturon, de même l'Etat peut très bien faire respecter la loi sans user des barreaux plus que de mesure. Au point où en est la récidive, la France ne risque pas grand-chose à essayer d'autres réponses que la seule prison.  


                                                                                                           G.D.

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